195 / ESPLANADE SAINT LÉONARD

Atelier d'architecture Aloys Beguin - Brigitte Massart


ESPLANADE SAINT LÉONARD


Objet : concours pour l’aménagement du site de l’ancienne prison Saint-Léonard et de ses abords


Programme :

  • réorganisation de la circulation routière
  • aménagement d’un parking sur la Place des déportés
  • aménagement d’une placette à l’entrée de la rue St-Léonard
  • Création d’une grande esplanade libre ouverte à diverses activités
  • Aménagement du bois des carmélites (site classé)

Lieu : Ancienne prison Saint Léonard 4000 Liège (B)


Maître d’ouvrage : Ville de Liège
Initiative de l’échevinat de l’environnement / 8ème département / service des plantations


Auteurs de projet : association momentanée Aloys Beguin-Arlette Baumans

Collaborateurs : Xavier Delaval / Hervé d’Oultremont / Anne-Michèle Janssen / Brigitte Massart / Jean-Marc Schepers / Caroline Vervier

Architecte – paysagiste : Anne Rondia

Artiste : Eugène Savitzkaya, poète


Surface :  6 Ha

Budget : 4.207.000 € HTVA (170 397 339 FB)


Pouvoirs subsidiants : Région Wallonne /espaces verts, rénovation urbaine, commissariat général au Tourisme

Projet subsidié dans le cadre de la DPRC, déclaration  de politique régionale complémentaire.


Photos :

© Alain Janssens

© Beguin-Massart


Concours : 1994

Étude : 1995-1999

Réalisation : achevé en 2001


Requalifier les centres de quartier

Aujourd’hui, l’esplanade Saint-Léonard est enfin donnée à la vie foisonnante du quartier : On voit, sur la grande dalle les gamins jouer au football, les skaters virevolter et les enfants caracoler sur leurs vélos.
Les étudiants pique-niquent dans le verger, les mamans se rassemblent sur les grands bancs, les jeunes font le guet du haut de la passerelle, les écoliers trottinent en troupeau derrière leur prof de gym, les guides touristiques mènent les visiteurs, les chiens tirent leur maître, les amoureux prennent le soleil sur les transats, les poètes rêvent, les enfants aux pieds nus traversent le fil de l’eau…

Gravée sur l’axe de l’ancienne muraille, nourrie de tous les murmures qui sourdent de ce lieu, la longue phrase incantatoire du poète Eugène Savitzkaya, accompagne les promeneurs.
Éclats de voix, de lumières, de couleurs, langues étranges, destinées multiples et variées habitent l’espace.
La place semble toujours avoir été là ; déjà, elle a pris quelques coups ; déjà, elle est bariolée ; déjà, le bois des bancs se patine de gris argenté…


Pourtant, une longue histoire…

Arrivée de 1626 jusqu’à nous la vue de Jean Blaeu ( gravure de Mérian.) est un document-clé pour apprécier la dimension historique et exceptionnelle du site de St Léonard : on est frappé par le caractère de cette frange urbaine tranchée net par le dispositif défensif de la ville, fossé et muraille imposante, interrompue à trois reprises par les portes y donnant parcimonieusement accès….

Le fossé, aménagé en darse portuaire, sera ensuite remblayé dès le début du XVIIIe siècle
C’est sur cette friche que l’on bâtira vers 1850 le quadrilatère rébarbatif de la prison Saint- Léonard, véritable frontière entre les quartiers du centre-ville (Féronstrée et Hors château) et le faubourg St Léonard en plein essor industriel.

Il faudra attendre 1981, pour qu’un projet de descente autoroutière vers le pont Maghin, heureusement vite abandonné, implique la démolition de la prison.
Dès ce moment, le rêve d’un parc habite le comité du quartier nord, qui propose ses projets. L’idée séduit, mais les moyens financiers font cruellement défaut à la ville, en prise avec d’importants problèmes budgétaires.

Ce n’est qu’en 1992 que la ville de Liège rachète la friche de la Prison à l’État, pour un franc symbolique, avec comme obligation d’y aménager un espace vert.

Jusqu’au printemps 1999, le site restera un vaste terrain vague, servant providentiellement de parking sauvage, à la lisière du centre-ville…


Concours d’idées pour un parc

En 1994, à l’initiative de l’échevinat de l’Environnement et du Cadre de Vie, un concours d’idées est lancé, auquel répondent 58 bureaux d’architecture, de paysagisme ou d’urbanisme.
Le programme est passionnant, l’occasion rare :
… reconquête d’un espace urbain d’environ 6 Ha.,
… conception d’une zone de parc et d’espaces verts
… création d’un lieu d’accueil pour des activités culturelles,
… trait d’union entre les 2 quartiers,
… liaison entre l’esplanade et la colline.

Le jury du concours est constitué de représentants des quartiers concernés, des différents services de la Ville, de la Région Wallonne, de l’Ordre des Architectes, de la Fondation Roi Baudouin, de la Fondation Européenne pour l’Architecture et le Paysage, d’urbanistes, d’architectes et d’artistes.
Le choix du jury se porte sur le projet des architectes Baumans-Beguin-Rondia.


Le projet lauréat

Le projet présenté au concours d’idées développe une vision urbanistique élargie dont les lignes de force permettent :

Le renforcement d’une continuité verte entre la Hesbaye et le pays de Herve, à travers la ville.

La mise en valeur de l’ampleur du site de la Meuse à la colline.

La création d’une coulée verte descendant de la colline sur la plaine alluviale et la ville.

La création d’une suite d’espaces publics, traduisant une progression des caractères, de l’urbain à l’intimiste, de l’architecture à la nature.

La redéfinition des limites d’îlots bordant le site.

L’identification de chaque lieu par des éléments-repères, par le traitement du sol et le caractère végétal, l’éclairage et le mobilier.

La création d’espaces disponibles aux diverses activités individuelles ou collectives, quotidiennes ou exceptionnelles.

La restructuration et la hiérarchisation des circulations et des cheminements.


Comité d’accompagnement et participation.

Dès après le concours et les premiers échanges entre les auteurs de projet et la Ville, la décision est prise de constituer un comité d’accompagnement afin de permettre la concertation et la participation démocratique à l’évolution du projet.

Le comité regroupera notamment l’échevinat de l’Environnement et du Cadre de Vie, divers services de la Ville (urbanisme, travaux, plantations, tourisme, police), des représentants des Ministères de la RW (espaces verts, CRMSF, MET, aménagement du territoire, patrimoine), la société de transports en commun TEC, l’urbaniste et le chef de projet de la ZIP-QI St Léonard, le comité du quartier St Léonard, la CCAT …
À toutes les phases importantes de développement de l’étude, des premières idées jusqu’aux plans d’exécution, le comité sera réuni. Les échanges autour de l’avancement du projet permettront d’élargir les points de vue et d’affiner les choix. Ils impliqueront parfois certaines remises en question, et permettront d’ajuster la démarche au plus près des demandes de chacun.

Le projet sera en outre présenté ou exposé plusieurs fois à des associations ou groupements d’habitants concernés.


Cheminement du projet
L’évolution du projet s’échelonnera sur 4 années.
Dans un objectif de cohérence et afin de circonscrire et de coordonner les diverses interventions futures, la ville commandera en 1995, la réalisation d’un schéma directeur.
Cette démarche permettra de synthétiser les fondements urbanistiques du projet sur le site en matière d’aménagement spatial, d’équipements et de programmation, de restructuration et de hiérarchie des circulations, de stationnement, de cheminements, de requalification des limites bâties,
En 1996, un avant-projet global sera réalisé, qui se clôturera par la réalisation d’un estimatif et la réalisation d’un dossier de demande de permis d’urbanisme.
En 1997, le projet prend une tournure très concrète ; la demande de permis d’urbanisme est introduite ; la ville explore les pistes de financement de la réalisation.
Après une tentative infructueuse auprès du FEDER (fonds européen de développement économique régional), après des hypothèses cruelles de phasage du projet dans le temps, la Ville sollicite et obtient, vers la mi-98, un financement de la région Wallonne, dans le cadre des subsides de la DPRC (Déclaration de politique régionale complémentaire) : espaces verts, commissariat général au tourisme, rénovation urbaine.
L’ensemble des projets en cours à cette époque permet à la ville de présenter à la Région Wallonne un vaste projet urbain, démarrant avec le projet bien avancé de la place St Lambert, se prolongeant avec la requalification de la place du marché et de l’axe Féronstrée pour se conclure avec l’espace St Léonard.
De plus, un ambitieux projet de restructuration de l’ensemble des musées du quartier Féronstrée (EMAHL), épaule ces visions prospectives.


Germination

Fortement nourris des évocations historiques du lieu, les éléments principaux avancés dès le concours d’idées sont menés à terme et affinés dans le dossier d’adjudication.

Tandis que cette dernière étape de conception s’élabore, les archéologues de la Région Wallonne sont invités à ouvrir plusieurs chantiers de fouille, dont le plus spectaculaire met à jour le dispositif complexe et insoupçonné de la porte Vivegnis : porte du 13e siècle, nouvelle porte et contre-muraille du 16e et enfin pont – barrage donnant accès à la ville par-dessus la darse.

Pour des raisons techniques et financières, le choix final consistera à réenfouir les vestiges, puis à les couvrir d’une « trace » en surface révélant le fonctionnement des portes anciennes.
Par ailleurs, dans les environs de l’ancienne porte St Léonard, d’autres très belles découvertes vont susciter l’étude de deux éléments de mise en valeur, (non encore achevés à ce jour) :

Un souterrain avec trappe permettant d’admirer le soubassement de l’ancienne muraille du XVe siècle

Une structure métallique exposant les vestiges du blason de l’ancienne porte Saint –Léonard.


Concrétisation

Après la mise en adjudication et l’attribution du marché, le chantier peut commencer.
Sur un axe central courant de la Meuse à la colline on assiste alors à la lente métamorphose :

Sur le quai, les voiles courbes en cuivre vert-de-gris dissimulent la place des déportés entièrement reprofilée en un parking arboré.
Au delà de la rue Feronstrée ponctuée à cet endroit par deux ronds-points qui fluidifient le trafic, l’entrée du parc est marquée par un groupe d’auvents légers en cuivre prépatiné.

Les gradins qui y prennent naissance conduisent à la dalle et à l’esplanade, plage de dolomie bordée de deux longues drèves d’érables champêtres. Une plaine de jeu, encore à venir, sera installée parmi les pommiers.
Calmement, un plan d’eau longe l’espace, suggère l’ancienne darse et se déverse dans les entrailles de la terre, au Potay, à l’endroit même où les archéologues ont exhumé les vestiges de l’ancienne porte Vivegnis.

Une solide passerelle de bois monte doucement à l’assaut du bois des carmélites et se hisse progressivement à la hauteur de la ramure des pommiers qui dévalent la colline.
Enfin, on escalade les terrasses, où tables de pique-nique et bancs invitent à la détente.
Plus tard, dans le bois, on oublie la ville, dont il ne reste plus que la rumeur ; au fil des sentiers en lacets, on traverse la muraille de Payenporte, en gros moellons de grès houiller, du 13è siècle. Cent mètres plus haut, sur le boulevard qui ceinture la citadelle, on découvre la vue qui se déploie sur la ville et la vallée.

Pour assurer l’articulation de la composition centrale avec le tissu existant, quelques sous-espaces latéraux se greffent sur cette longue séquence. Ainsi les terrasses au seuil de la rue St Léonard, la place du Nord, la placette Vivegnis et la placette des Carmélites offrent-elles leur charme particulier à l’ensemble.


(…) enfants de la corne d’abondance et du grand navire terraqué (…)*

 

* E. Savitzkaya : fragment du texte gravé sur la trace de la muraille de l’esplanade Saint Léonard.

Sur 200 mètres de long, le poète Eugène Savitskaya a écrit une dédicace à la place St Léonard, comme ces voeux que l’on écrit sur les navires avant de les mettre à l’eau et de les envoyer de par le monde…

Cette longue phrase incantatoire et kaléidoscopique déploie un imaginaire à la fois poétique et réaliste, nourri de tous les murmures qui sourdent de ce lieu.

Elle traverse les temps présent, passé et futur, courant à la rencontre des promeneurs, enfants, poètes, travailleurs, usagers quotidiens de l’espace public.

Au hasard, le texte croise les piétons qui traversent le parc, entre les quartiers Hors Chateau et Saint -Léonard, rencontre un pommier, traverse la plaine de jeux des enfants et vient dialoguer avec les vestiges de l’ancienne porte Vivegnis.

La nuit, en file indienne, 11 projecteurs encastrés dans le sol illuminent l’axe qui traverse calmement le site.


Créer un événement urbain qui s’inscrit dans le temps,
Créer un espace simple et digne qui modifie l’image d’un quartier et sa réputation.
Créer un parc social et utile où dialoguent. “l’un et l’autre – l’ici et l’ailleurs – le passé, le présent et le futur “ Créer un nid d’humanité dans la ville, où des hommes rencontrent d’autres hommes – différents – et participent à des émotions communes.

Voilà l’idéal qui donna son impulsion au projet.
Aux gestionnaires, aux services publics, aux habitants, aux utilisateurs de relever le beau défi de le faire vivre…

PRIX


  • 2006 mention « highly  commended » au « 6th European Urban and Regional Planning Awards 2006-Séville (SP)» organisé par le conseil européen des urbanistes, pour le projet du Parc St-Léonard à Liège (B)
  • 2003 Awards de l’Architecture Belge, catégorie 4 « constructions nouvelles non résidentielles » : nomination pour le projet du Parc St Léonard à Liège (B)
  • 2001 13ème édition du prix de l’urbanisme de la Ville de Liège : lauréat de la catégorie « projets non résidentiels » pour le projet du Parc St Léonard à Liège (B)

PUBLICATIONS


  • Revue ABITARE (I) n° 428, pages 142-146 « BELGIO » « In search of landschape : Belgium’s architecture of green voids » article de Koen Van Singhel
  • Belgium New Architecture 2, Le parc St Léonard à Liège, Prisme édition (B), 2003
  • Revue A+ (B) n°177, pages 110-113 : « Parc St Léonard à Liège : à la place des gens », article de Francois Thiry
  • Revue A+ (B) n° 177, p64 -69 : « Parc St Léonard à Liège : rendez-vous à l’estacade », article de  Francois Thiry (projet réalisé en association momentanée avec Arlette Baumans)
  • Les nouvelles du patrimoine-Liège, n°94 octobre-novembre 2001, p 20-22 : L’esplanade St-Léonard